J'ai lu des études d'anthropologues pour éclairer ma lanterne sur les différences culturelles entre les États-Unis et la France. En voici les grandes lignes.
Dans « Évidences invisibles », Raymonde Carroll aborde le thème des malentendus culturels, souvent non identifiés comme tels (puisque les présupposés culturels sont inconscients et implicites). Il ne faut cependant pas confondre différences individuelles et différences culturelles.
Pour Carroll, la culture est la logique selon laquelle l'individu ordonne le monde. « Et cette logique, je l'ai apprise dès ma naissance, dans les gestes, les paroles et les soins de ceux qui m'entouraient, dans leur regard, dans le ton de leur voix ; dans les bruits, dans les couleurs, dans les odeurs, dans les contacts ; dans la façon dont on m'a élevée, récompensée, punie, tenue, touchée, lavée, nourrie ; dans les histoires que l'on m'a racontées, dans les livres que j'ai lus, dans les chansons que j'ai chantées ; dans la rue, à l'école, dans les jeux ; dans les rapports des autres dont j'étais témoin, dans les jugements que j'entendais ; dans l'esthétique affirmée, partout, jusque dans mon sommeil et dans les rêves que j'ai appris à rêver et à raconter. Cette logique, j'ai appris à la respirer et à oublier qu'elle était apprise. Je la trouve naturelle. Elle sous-tend tous mes échanges, que je produise du sens ou le reçoive. » Chacun agit de façon naturelle, mais les naturels sont culturels et ne coïncident donc pas. De plus, avant de comprendre ou réfléchir sur la culture d'un autre, il faut d'abord comprendre sa propre culture. La première tentative d'explication d'un comportement « bizarre » est rarement la bonne.
Carroll fait ensuite une étude comparative sur de grands thèmes.
La maison
Elle écrit qu'en France, les maisons sont protégées par des persiennes ou rideaux alors qu'aux États-Unis, on peut voir du dehors la vie des Américains chez eux. Parallèllement, je vous donne mon avis personnel sur la question ou simplement mon expérience. Et il s'avère que je n'observe pas cette différence ici, à Berkeley ou à San Francisco (qui ne sont peut-être pas représentatifs du reste des États-Unis) : je ne vois pas mes voisins chez eux, et les stores dans les rues sont souvent clos. Elle ajoute qu'il n'y pas forcément de murets ou de grillage qui séparent les maisons individuelles (elle ne parle pas de ce qu'elle ne connaît vraisemblablement pas : les HLM ou équivalents), mais je ne peux pas le nier : les pelouses sont accessibles du trottoir. Elle dit que les Américains font faire le tour de la maison à leurs invités pour qu'ils s'y sentent à l'aise, alors qu'en France, les invités n'auront accès qu'aux salon, salle à manger, toilettes, salle de bain et peut-être cuisine. De plus, l'ouverture de la maison américaine n'est pas un obstacle à la « privacy », un Américain qui reçoit reste un Américain chez lui, qui peut choisir de rester dans son fauteuil, dans une sphère privée, sans s'occuper de ses hôtes. Une autre différence : les Français frappent aux portes pour prévenir de leur entrée, les Américains frappent aux portes pour demander la permission d'entrer.
La conversation
Pour certains Américains, les Français semblent parler pour ne rien dire ; ils interrompent la conversation, ils terminent les phrases et n'écoutent pas les réponses aux questions posées. Pour certains Français, les Américains, répondent à la moindre question par une conférence et ignorent l'art de la conversation. La conversation, pour un Français, doit être engagée, soutenue, alimentée. Le silence y est synonyme de colère ou d'ennui. La conversation française révèle la nature des liens entre les conversants. Aux États-Unis, 2 Américains qui se croisent dans la rue vont se sourire, 2 inconnus en situation d'attente vont discuter – totalement vrai. Le Français s'engage dans la conversation, l'Américain non, donc il peut parler plus facilement avec des inconnus. Les Américains laissent parler et attendent leur tour, les Français veulent participer dans le moment. Pour l'Américain, c'est l'espace qui révéle sa relation, non la conversation. Il aura un contact physique avec sa famille ou des amis proches, la parole est considérée comme l'établissement d'une distance. Les Américains ne se regardent pas dans les yeux, c'est considéré comme une invasion de leur espace privé. Dans le métro, les Américains parlent pour créer de la distance et savoir qui est « sur le terrain » (il est vrai que lorsque le BART est bondé, en plus du périmètre de sécurité – 10 cm- j'ai l'expérience du sourire appuyé suivi d'une discussion pour savoir « qui je suis »)
Parents/Enfants
Les Américains et Français ne comprennent pas (voire n'approuvent pas) la façon d'élever des enfants dans l'autre culture. Pour les Français, les enfants américains sont gâtés, mal élevés, bruyants, sans gêne, impolis et irrespectueux. Pour les Américains, les enfants français sont trop sages, n'ont pas le droit de bouger, de jouer, de faire du bruit, ce sont de petits adultes.
Mais en fait :
- aux États-Unis, l'enfance est le moment où tout est permis tandis qu'à l'adolescence, il faut montrer que l'on sait ce que l'on veut (moment des expériences terminé)
- en France, l'enfance est le moment où l'on doit apprendre et suivre les règles, l'adolescence étant plus ou moins synonyme de liberté.
Le couple
Aux États-Unis comme en France, l'image traditionnelle du couple est celle d'un couple hétérosexuel. En France, si la tendresse en public est permise, la passion reste taboue. Si on se joint à un groupe, celui-ci a priorité sur le couple et n'admet pas de rapport d'exclusivité : il faut montrer au groupe que mon couple n'est pas un obstacle à l'amitié. De plus, l'entente et l'accord au sein d'un couple restent suspicieux. Aux États-Unis, le couple s'affirme par l'image visuelle qu'il donne. Le couple américain idéal est toujours d'accord ; toute suggestion de conflit est très mauvais. L'absence de conflit ne suffit d'ailleurs pas : il faut soutenir son partenaire sans réserves et sans hésitation.
L'amitié
C'est une relation librement choisie, un pacte tacite avec ses obligations et ses interdits. En France, un ami est quelqu'un à qui on peut se confier ; en cas de besoin, on attend que l'ami propose son aide de lui-même (sinon, ce n'est pas un véritable ami). Aux États-Unis, si on propose son aide, on s'imisce dans la vie privée de son ami, on lui montre qu'il n'est pas capable de se débrouiller seul. Proposer son aide est synonyme de jugement moral et de condamnation. Les Français peuvent considérer l'amitié américaine comme superficielle, les Américains penseront que l'amitié française est étouffante. Un Français sans ami est considéré comme asocial, un Américain sans ami comme anti-social.
Se renseigner
Les Américains préfèrent s'armer de plans et cartes ou s'adresser à l'organisme le plus adapté pour trouver un renseignement ; les Français préfèrent demander à un ou plusieurs inconnus, s'en remettre à quelqu'un.
Dans « La dimension cachée », E.T. Hall invente le mot « proxémie » et est l'un des premiers à considérer l'espace comme un produit culturel. Il y aurait 4 distances entre les gens : intime, personnelle, sociale et publique. Il divise chaque distance en 2 modes : proche et éloigné.
- distance intime proche = acte sexuel ou lutte, éloigné = 15 à 40 cm
- distance personnelle proche = 45 à 75 cm, éloigné = 75 à 125 cm
- distance sociale proche = 120 à 210 cm , éloigné = 210 à 360 cm
- distance publique proche = 360 à 750 cm, éloigné = 750 cm et +
(ai pas réussi à faire un tableau ici, désolée)
En vrac : les Américains ne ferment pas leur porte au travail et parlent fort pour éviter que l'on pense qu'ils ont des choses à cacher. En France, les villes ont une forme d'étoile, aux États-Unis, les villes sont formées comme des échiquiers.
S'étant penché sur le problème de l'espace, Hall a été l'un des premiers à dire que « l'afflux démographique dans toutes les villes du monde crée une série de cloaques de comportement... » Le manque d'espace est l'une des causes de criminalité, de carence éducative et de pathologie physique (pas plus de précisions, dommage).
Dans « Le langage silencieux », Hall décrit les Américains dans leur gestion du temps. Ils sont poncuels et préfèrent faire les choses l'une aprés l'autre. Le temps est considéré comme un matériau que l'on peut gagner ou perdre, économiser ou gaspiller. La vision de l'avenir demeure proche dans le temps, ils ne considèrent pas les générations futures (y aurait-il un rapport avec les accords de Kyoto ?). La rapidité est primordiale : un homme lent est un homme irresponsable et impoli ( ! ).
En vrac : les Américains évitent tout contact physique avec un inconnu. Aux États-Unis, il y a beaucoup d'espaces uniformes, standards qui auraient influencé la vision américaine de production de masse, de standardisation (à méditer).
Je ne peux taire la vision machiste de Hall, qui, à plusieurs reprises dans ses ouvrages, dit que le territoire de la femme est celui de la cuisine (celui de l'homme est le bureau ou l'atelier)...